Le conseil d'administration et l'innovation : Quels sont ses angles d'action ?

Série Innovation – 2e article - 8 novembre 2016

 

Dans un article précédent[1], nous avons vu que :

  • Les entreprises doivent propulser leur innovation ;
  • Le conseil d’administration y a un rôle à jouer en tant qu’allié de la direction et il doit considérer l’innovation comme un outil de croissance pour l’entreprise ;
  • Le conseil d’administration ne doit pas avoir un rôle opérationnel. 

Ainsi, son implication dans l’innovation devra se faire dans le respect de la règle fondamentale du partage des compétences qui permet au duo qu’il forme avec la direction de bien fonctionner.

Le conseil d'administration n'a pas de rôle opérationnel, alors il n'innovera pas lui-même. Alors, quels sont ses angles d'action ?

Le conseil d’administration devra mettre la table pour que la direction ait les conditions propices à l’innovation. Il a des outils importants pour la rendre possible (ou impossible). Et si son action est trop lourde, elle ralentira le processus d’innovation de l’entreprise. Ceci n’est pas dépourvu de conséquences, comme on le devine. Il doit notamment pouvoir vivre avec le flottement créé par le fait qu’en innovation, les points de départ et d’arrivée ne sont pas toujours déterminés de façon précise.

Outil numéro 1 -  Dire non au statut quo : Le conseil d’administration doit sortir de son rôle traditionnel de gardien de la conformité et de la reddition de comptes pour embrasser un rôle stratégique. Ses deux rôles doivent cohabiter, sans que le premier domine les réunions du conseil d’administration. Si la conformité est essentielle au bon fonctionnement de l’entreprise, elle représente le passé. Or, les objectifs de l’entreprise doivent être fixés en fonction de sa vision du futur. Ainsi, tandis que le conseil d’administration regarde par en arrière, il n’a pas les yeux rivés sur les prochains défis de l’entreprise et sur notre monde actuel qui est en bouleversements. Les ordres du jour des réunions doivent être soigneusement élaborés afin d’atteindre l’équilibre souhaitable entre la conformité et la reddition de comptes, d’une part, et la stratégie, d’autre part. J’en parlerai plus amplement dans un prochain article.

Outil numéro 2 – Stratégie et innovation : Adopter un plan stratégique dans lequel sont imbriqués les objectifs en termes d’innovation [voir premier article[2] de la série pour plus d’informations] est essentiel. Ces objectifs devront être clairs (et plusieurs diront qu’ils devront aussi être ambitieux).

Outil numéro 3 – Compétence et diversité du conseil : Déterminer les compétences que les membres du conseil d’administration doivent avoir pour accompagner la direction dans la réalisation du plan stratégique de l’entreprise doit être fait régulièrement (et au moins à chaque fois qu’un nouveau plan stratégique est adopté). Si le conseil n’est pas composé adéquatement, il faudra trouver le courage d’en modifier la composition conséquemment. Le conseil devra être suffisamment diversifié pour créer une saine tension constructive entre les membres afin que du choc des idées, jaillisse la lumière[3]. Sa composition devra aussi permettre une veille stratégique du marché et de débusquer les angles morts de l’entreprise[4]. L’homogénéité est dangereuse : si l’entreprise est dans l’erreur ou flotte dans l’inertie, personne ne s’en rendra compte. Et la composition idéale devrait permettre au chef de l’exploitation de demander des avis dans des domaines où les ressources internes de l’entreprise ont besoin d’appui. Par exemple, un membre spécialisé dans les médias sociaux et le commerce électronique complémentera à merveille une équipe de direction qui a du mal à se convertir à cette réalité.

Outils numéro 4 – Indépendance du conseil : Si l’on revient à la règle fondamentale de la séparation des pouvoirs entre le conseil d’administration et la direction, il importe que le conseil d’administration soit composé d’un nombre substantiel de membres indépendants de la direction. Cela est essentiel au conseil pour lui faire prendre l’altitude nécessaire à la prise de décisions qui soient décollées des opérations. Avoir une certaine distance de l’entreprise, en n’étant pas impliqué dans ses opérations quotidiennes, donne au membre indépendant du conseil d’administration le sang-froid ou le recul nécessaire à prendre des décisions à long terme.

Outils numéro 5 – Nomination et évaluation du/de la chef de l’exploitation : Il revient normalement au conseil d’administration de nommer le ou la chef de l’exploitation et d’en évaluer le rendement. Cette personne aura la qualité de savoir naviguer dans les eaux troubles et sinueuses du changement. Une entreprise innovante aura besoin d’un leader ayant des compétences et des aptitudes permettant d’implanter une culture d’innovation. Sa personnalité devra être prise en compte par rapport aux objectifs stratégiques à atteindre et sa description de poste, déterminée conséquemment.

Outil numéro 6 – Rémunération du/de la chef de l’exploitation : Comme on le sait, l’argent influence le comportement de la plupart des gens. Si la structure de rémunération du/de la chef de l’exploitation, laquelle est déterminée par le conseil d’administration, encourage les résultats à court terme, cela pourrait avoir comme conséquence de démotiver la prise d’actions à long terme. Par exemple, alors que d’importantes sommes sont dévolues à l’innovation stratégique, parfois à l’invention, il importe de ne pas axer sa rémunération sur la hausse à court terme de la valeur de l’action. Pourquoi brouiller l’action à long terme en favorisant les actions à court-terme?

Outil numéro 7 - Approbation des budgets : Il est du mandat du conseil d’administration d’approuver les budgets adéquats permettant la réalisation du plan stratégique dans son entièreté. Se faisant, le conseil d’administration aura plusieurs questions à se poser. En voici quelques-unes. Il devra se demander si les budgets incluent l’allocation des ressources suffisantes dédiées à l’innovation. S’ils sont suffisants pour tirer le maximum du potentiel innovant de l’entreprise et tenter de quantifier le coût des projets porteurs qui seront laissés de côté, faute de ressources. Les projets porteurs qu’on ne fera pas, ont également un coût. Car ne rien faire a un coût… caché.

Les projets d’innovation pourront gonfler de façon conséquente les budgets de l’entreprise et le conseil d’administration doit s’assurer que les ressources financières octroyées sont suffisantes. Une fois adoptés, la direction sera-t-elle prisonnière des budgets ou tiendront-ils compte que le prix de l’innovation est la plupart du temps difficile à anticiper ? Aussi, incluront-ils des enveloppes discrétionnaires afin de permettre à l’entreprise d’explorer des projets d’innovation qui n’avaient pas été envisagés initialement mais qui sont prometteurs ?

Outil numéro 8 – Gestion des risques : Il revient au conseil d’administration d’établir la tolérance aux risques de l’entreprise. Puisque des innovations majeures peuvent lui faire encourir des risques importants, les administrateurs doivent adapter le seuil de tolérance aux risques conséquemment en plus d’être solidaires de la direction devant l’adversité. La voie de l’innovation n’est pas toujours un fleuve tranquille. 

Outil numéro 9 – Culture de l’entreprise : Le conseil d’administration, par le choix du chef de l’exploitation, de sa structure de rémunération (qui se répliquera en cascade dans l’organisation) et des messages envoyés dans l’entreprise, doit créer une culture d’entreprise favorable à l’innovation. Une culture d’entreprise où chaque échec est sanctionné et le fautif étiqueté, ne permet pas de tirer le meilleur de chaque individu. Les employés seront plutôt tentés de faire profil bas et de garder leurs idées lumineuses pour eux… Rappelons-nous qu’une innovation porteuse est bâtie sur un cimetière d’idées qui n’ont pas été sélectionnées ou qui n’ont pas abouties ou qui ont abouties sous une autre forme que celle prévue initialement (rappelons-nous comment les « Post-it » ont été inventés). Dans ce contexte, le droit à l’erreur est essentiel. Ceci fera l’objet d’un autre article.

N’hésitez pas à m’écrire à gouvernance@letourneau.lu pour discuter du sujet, car comme on le sait, « du choc des idées jaillit la lumière » !

À bientôt.

 

Pour en savoir plus :

DAWSON, Ross, « The 7 roles of Company Directors in Driving Successful Innovation», Trends in the Living Networks, 2013.

DESCHAMPS, Jean-Philippe, « What is Innovation Governance? », IMD, Part 1, 2012.

DESCHAMPS, Jean-Philippe, « Governing Innovation in Practice – The Role of the Board of Directors », Innovation Mangement.se, 2013.

LÉTOURNEAU, Emmanuelle, De la gouvernance de conformité à la gouvernance créatrice de valeur pour les entreprises, Développements récents en droit des affaires, page 195, Éditions Yvon Blais, 2016.

 

Ce texte ne constitue pas un avis juridique.

©Emmanuelle Létourneau, 2016

 

 

Notes de bas de pages :

[1] LÉTOURNEAU, Emmanuelle, L’innovation dans les entreprises : Le conseil d’administration doit-il s’en mêler ?

https://www.linkedin.com/pulse/linnovation-dans-les-entreprises-le-conseil-doit-il-emmanuelle?trk=hp-feed-article-title-sha

[2] Voir note 1.

[3] Citation, légèrement adaptée, de Nicolas Boileau, écrivain français du 18e siècle

[4] COSSIN, Didier et METAYER, Estelle, « Board and Strategy », IMD, 2012.